7 septembre 2011

Parlez-vous le lacanien ?

Jacques Lacan est mort il y a trente ans. Il était un maître à penser génial, hors norme et touche à tout. Un semeur de zizanie qui a été l’enjeu de deux scissions dans la communauté analytique en France, et qui a tout fait pour relancer l’ « épidémie » qu’est la psychanalyse. Il a mis d’emblée son enseignement sous le signe du « retour à Freud », et sa pensée a été novatrice sur bien des points. Avide de nouveaux espaces, il n’a eu de cesse de faire sortir la psychanalyse de ses gonds à l’aide de la culture.
Mais la « Lacanie », ce n’est malheureusement pas que la pratique sans modération du divan et la lecture des Séminaires. C’est aussi une communauté, des publications, des mœurs et, surtout, une langue de bois lourdingue qui aurait fait les délices de Molière. La Lacanie est un pays folklorique où les habitants, rassemblés dans des groupes où l’obéissance et le conformisme sont de rigueur, ressemblent souvent à des caricatures de notables de la rive gauche parisienne. Nos lacaniens font parfois penser à ces combattants retrouvés sur une île du Pacifique plusieurs décennies après la fin du dernier conflit mondial : ils ne savent pas que la guerre est finie et que le temps a passé. Ils sont parmi les seuls en France à parler un jargon pseudo-intello très seventies et à croire qu’ils sont subversifs.

Pour illustrer mon propos, voici la fable La cigale et la fourmi traduite (par mes soins) en jargon lacanien :

« Je propose un cas clinique contemporain qui met en lumière le jeu du désir et du manque chez l’hystérique. Le sujet C a un symptôme : c’est une dépensière compulsive. Cette jeune femme est identifiée à un trait familial qui peut être épinglé comme une propension à la surenchère dans la dépense. Il s’agit dans la fratrie de C d’une véritable pulsion d’autodestruction puisqu’elle mena jadis à la ruine plusieurs de ses ascendants. Une scène-pivot est décisive. Aux tout premiers jours de novembre, date annonciatrice de la déréliction des éléments et de la claustration du sujet, celui-ci commet un acting-out. C, après avoir dilapidé ses derniers avoirs bancaires, adresse un appel à l’aide sous forme d’une demande d’argent à F. Celle-ci est une voisine décrite par C comme « laide, moricaude et courte sur patte », mais matériellement mieux pourvue. Tout se passe comme si elle possédait le phallus dont C se voit comme privée. Elle le revendique alors en lançant à son opulente rivale une véritable injonction qui ne trouvera sa résolution que sous la forme du traumatique refus qui ponctue cette saynète. Il est clair que F met ici en question sa Weltanschauung et désigne comme béant le manque chez C. Le « non » auquel cette dernière s’affronte vient faire fonction d’interprétation pour le sujet, qui se trouve brutalement confronté à la perte d’une figure généreuse purement fantasmatique. Le « vous avez chanté tout l’été, eh bien dansez maintenant » dont la gratifie sans ménagement F vient redoubler cette scansion et épingler l’inconsistance subjective de C. Le nouage des éléments laisse peu de place à l’arrimage par le sujet à un désir authentique déployé sur la chaîne signifiante. Aussi le désir, posé ici comme manque destructeur, s’avère-t-il impossible à assumer. S’incarne alors dans le réel pour C la désintégration mortifère et le vide sans recours auquel elle risque d’être confrontée à très court terme. »

A lire : le feuilleton littéraire en ligne qui paraît tous les jours impairs : « Cocktails et terreur à Saint-Germain-des-Prés ». C’est la suite de « L’Affaire Hem », dont tout le monde parle encore au Café de Flore. Et c’est, bien sûr, sur le site fumeur : touchalon.free.fr