La France, pour les femmes, ça craint. Ne me dîtes pas que vous été dupe de la mystique égalitaire française, « nous en France on peut avoir des enfants et bosser en même temps, on a de la chance » ? Travailler en France, oui, les femmes peuvent, mais pour faire quoi ? Un truc un peu nul et sans perspectives ? Ou alors à mi-temps et « dis merci à ton employeur car tu as le temps de t’occuper de tes gosses ? » Pas étonnant qu’au palmarès des inégalités hommes-femmes dans le monde, la France fasse figure de tortue. D’après un classement établi par le Forum économique mondial sur 134 pays, elle est à la 46e position en 2010, juste derrière la Pologne, la Jamaïque et la Russie. Les mieux classés sont les Scandinaves, peut-être parce qu’ils habitent la patrie du Père Noël.
Les langues se délient, l’affaire DSK pourrait contribuer à « faire bouger les lignes », comme on dit en sarkolangue. Il était temps. Je vous raconte une anecdote significative. Je me rends au Salon du livre de Paris il y a quelques années. Je vais à la rencontre d’un éditeur avec lequel j’ai signé un contrat pour rédiger un petit ouvrage de vulgarisation. Lui et moi on ne s’est jamais rencontrés, on a échangé par emails ; sur le stand de sa maison d’édition, je m’avance vers lui, et je me présente. Il me tourne illico le dos et se met à parler à quelqu’un d’autre. Je pense qu’il n’a pas entendu, je recommence, « Bonjour, je m’appelle Corinne Maier…». Il me regarde à peine et lâche : « Ah, je vous demande une minute ». J’attends un peu, il est toujours occupé, tant pis, je quitte l’étal, passe devant lui en faisant un salut de la main. Là, pour la première fois, il me regarde vraiment, et il marmonne : « Excusez-moi, je vous avais prise pour une stagiaire ».
Être une femme, c’est être prise pour une stagiaire tout le temps. Ca veut dire qu’on vous laisse le strapontin, le tabouret ou l’escabeau, et parfois la sellette. Bref, un siège d’appoint. Mais tout va changer pour moi, non pas parce que l’égalité progresse à pas de géant, mais parce que je vieillis. Bientôt, on ne pourra plus me prendre pour une stagiaire. On me proposera peut-être une chaise, une vraie chaise, où je pourrai prendre mes aises. A moins que, d’ici là, je n’aie le cul dans le beurre : plus besoin de quémander pour m’asseoir. Mon portefeuille bien rempli me permettra de m’offrir une chaise à porteur.