31 août 2011

Vacances, je lis tout

Cher lecteur, je t’ai négligé. Tu t’en doutes, j’étais en vacances. En France, bien sûr, puisque, comme je l’ai écrit dans mon livre « Tchao la France », « la France est un paradis pour le touriste ». Je passe le mois d’août dans des gîtes ruraux où, dès l’arrivée, je détaille le contenu des rayonnages. Ils rassemblent souvent des incunables rendant l’âme, des rossignols sentant la poussière, des rebuts de grenier aux couvertures jaunies, bref tout ce qu’on ne lit plus. Jean Hougron, Mazo de la Roche, Henri Bosco ou Jean Carrière (« L’épervier de Maheux », ça vous dit forcément quelque chose ?) figurent en pôle-position du livre d’hier ou d’avant-hier. La spécialiste du déchet que je suis est à la fête. J’adore ces improbables dépôts d’ouvrages que l’on trouve fréquemment chez ceux que la page imprimée impressionne trop pour qu’ils songent à jeter un livre, même si plus personne ne l’ouvre.
Cette année, une fois le tour des vieilleries livresques effectué, je me suis approvisionnée à la bibliothèque publique la plus proche, celle de la Grand-Combe. Elle a le mérite de ne pas cacher ses opinions en se dénommant crânement « Germinal », ce qui convient parfaitement au teint de cette ancienne ville minière. J’y ai découvert un livre fabuleux. Il s’agit de « La saga des émigrants », du suédois Vilhem Moberg. Je vous raconte l’histoire ; en 1850, Kristina et Karl Oskar, un jeune couple de paysans scandinaves, décide de quitter sa terre stérile pour émigrer en Amérique, terre de tous les possibles. Ils sont accompagnés par deux valets de ferme, Robert, le frère de Karl Oskar, qui ne veut plus obéir à un maître, et par son compagnon Arvid, qui n’accepte plus d’être la risée du village. Seront du voyage également Danjel Andreasson, un hérétique qui souhaite croire librement, et Ulrika de Västergöhl, la prostituée que tous méprisent. Cette saga gigantesque de plusieurs milliers de pages est à la fois très documentée et inspirée. Voilà un livre totalement addictif sur l’exil, la force du rêve, le destin et les illusions perdues. Bravo ou « Snyggt jobbat », comme on dit là-bas dans le Nord.

28 juillet 2011

EDF : Enculés de France

Je pars en vacances demain. En France, dans un bled des Cévennes. J’ai regardé sur la carte : la centrale nucléaire la plus proche est située à 95 km à vol d’oiseau. C’est loin mais c’est encore bien trop près. Et ce n’est pas les enfumages du JT sur le thème : « Fukushima ne pourrait pas arriver chez nous » qui vont me rassurer. Non seulement j’ai peur du nucléaire, mais j’ai peur du nucléaire made in EDF.
Je sais de quoi je parle : j’ai bossé 12 ans dans cette boîte comme petit cadre. Pas par goût, mais simplement parce que ce taf sans intérêt était payé. J’ai finalement réussi à me faire virer, ce qui relève de l’exploit. A EDF, beaucoup se la ferment : c’est l’emploi assuré contre l’omerta. Je garde l'image d’une entreprise qui fonctionne en vase clos avec la bénédiction de l’Etat, de chefs arrogants d’une rare incompétence, de hiérarques qui défendent la règle du « zéro information » en cas d’accident - naturellement, c’est off. Si ça pète, vous mourrez paisibles, vous n’aurez même pas le temps d’avoir peur.
Ça craint, quand même. Nucléocrates au-dessus des lois, données sismiques falsifiées, dizaines de milliers de sous-traitants exposés sans vergogne aux rayonnements radioactifs : c’est cher payé pour se chauffer. Hardi petit, de nouveaux réacteurs sont construits, des convois de combustibles et de déchets nucléaires traversent la France au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires, des matières radioactives sont rejetées dans les eaux, dans l'air. Français, vous êtes concernés, vous devriez êtes consternés. Allons, encore un effort pour crever irradiés.
A lire sur le nucléaire : "Thèses sur Tchernobyl", de Günther Anders, Editions de la Soupente.

23 juillet 2011

Le Prince et la bergère

MLP (Marine Le Pen) tend la main à la Wallonie. Elle fait de grands signes : « Venez, rejoignez-nous ! » La Wallonie rattachée à l’Hexagone ? On ignore si elle le souhaite. Certes la pauvrette pourrait se trouver un peu seule sur la carte de l’Europe au cas où la Belgique éclaterait. Mais qui vivra verra, et chocolat peut-être sera. Pour l’instant, tout est calme Outre-Quiévrain. Pas de gouvernement – et alors ? Mieux vaut pas assez que trop. Depuis 2007, des indicateurs comme la confiance des consommateurs ou celle des chefs d'entreprise évoluent exactement de la même façon en Belgique et dans l'ensemble de la zone euro. Et depuis sept mois, pas la moindre trace de décrochage de la confiance des Belges sur leur situation économique par rapport à ce qui est observé dans les pays qui les entourent. Y a pas le feu à Knokke-le-zoute.
Mais la tendance est au frotti-frotta franco-belge. L’histoire d’amour de l’industriel Arnaud Lagardère et du mannequin belge Jade Foret donne le ton. Demandez la vidéo sur youtube, qui compte déjà 500 000 spectateurs d’un spectacle kitch digne des seventies. La robe panthère de la demoiselle, ses bottes avec des petites fleurs, l’air d’amoureux transi du ténébreux capitaine d’industrie, y sont pour beaucoup… C’est vraiment dommage qu’ils ne chantent pas. On les imagine reprendre en duo « Besoin de rien envie de toi », le tube de Peter et Sloane. Allez, une chanson, une chanson ! Et, par pitié, épargnez-nous la Marseillaise et la Brabançonne.
(Pour les vacances, l’indispensable feuilleton de l’édition : touchalon.free.fr)

18 juillet 2011

Dans le chaudron d’Astérix le Gaulois

Je vous disais dans mon post précédent que les Français de l’étranger (de même que les cosmopolites et autres inclassables) sont parfois suspects. La preuve : Eva Joly, à la fois Norvégienne et Française, candidate écolo à la présidentielle, s’est vue reprocher sa bi-nationalité. Elle propose de remplacer le défilé du 14 juillet par un défilé « citoyen » ? C’est parce qu’elle ne comprend rien à la « francitude » - la pauvre, elle descend de son drakkar. Il paraît que quant on n’est pas un « vrai Français », on n’a pas la République dans son ADN, on n’a pas la nation dans son logiciel.
Moi, franchement, je n’aime ni les défilés militaires ni les défilés citoyens. Les rodomontades nationalistes me déplaisent autant que les culcul-teries mièvres et rassembleuses. Par définition, tout ce qui porte l’adjectif « militaire » ou « citoyen » suscite chez moi la méfiance. Chère Marianne, pour le 14 juillet, tu peux te garder les parades à la noix. Moi je veux bien célébrer quelque chose, mais avec de la bonne bouffe et de la picole. Et cette année, je me suis sentie flouée. La réception organisée par l’Ambassade de France en Belgique pour la fête nationale faisait un peu pauvre. Vu la qualité médiocre du mousseux, il est clair qu’il y a un problème en métropole.
Qu’est-ce que vous foutez, les Français de France ? Vous pensez peut-être que les émigrés ont oublié le goût du vrai champagne ? Dîtes la vérité, nous ne nous aimez pas, nous qui sommes partis à l’insu de votre plein gré. Des orgies, nous voulons des orgies. Quant au reste, les bustes en plâtre, le drapeau tricolore, la Marseillaise et autres marches des fiertés pour gros muscles, vous pouvez les oublier à la consigne avant de monter dans le train.

9 juillet 2011

Un Français sans la France est comme un poisson sans bicyclette

Je suis contente. David Douillet, populaire champion de judo, va représenter les deux millions et demi* de Français de l’étranger. Bien sûr, j’aurais préféré Yannick Noah, qui habite New York : vivre ailleurs, il connaît. Mais avec David nous serons, c’est certain, bien défendus. On en a besoin, car certains ne nous aiment pas. La preuve, les projets de remise en cause de la pluri-nationalité et la proposition (retoquée) de surtaxation des résidences secondaires des Français vivant au-delà des frontières. C’est que celui qui est parti est suspect. C’est quelqu’un qui n’aime pas la France. C’est un traître au régime, comme ces nobles qui ont fui la Révolution en 1789 ; c’est un agitateur, comme ces républicains et communards exilés au XIXe siècle. C’est un planqué, comme ces millionnaires qui fuient lâchement la fiscalité républicaine. Une atmosphère de défiance et de soupçon nous entoure comme un halo déplaisant. L’autre jour, à Paris, un inconnu m’a alpagué dans la rue pour me demander : « Madame Maier, vous êtes partie pour des raisons fiscales ou politiques ? » Pourquoi faut-il sans cesse se justifier* ?
Mais les politiques ne peuvent pas négliger le million d’électeurs, dont le vote sera décisif pour la présidentielle de 2012. Alors, un petit coup de pommade sur le dos ? Moi j’aime qu’on me flatte, qu’on me cire les pompes. Qu’on me dise que je suis, quelque part, une ambassadrice de la France en terre étrangère. Qu’on me réserve des invitations pour le buffet du 14 juillet à l’Ambassade. Pourquoi pas des sièges réservés dans les transports franciliens, qui nous seraient utiles lors de nos passages en métropole ? Et des tickets d’alimentation (parce que la bouffe, à l’étranger, il faut bien reconnaître que c’est pas toujours ça) ? A quand les paniers-orgies distribués par les consulats de France ? Les largages de vivre effectués depuis les avions Air France ? A moi vaches, cochons, couvées, œufs en meurette, paupiettes, fromage de tête, andouillettes, blanquettes, alouettes…
La France me donne faim. Un électeur bien nourri est un électeur conquis.

*D’après l’audit des parlementaires de la politique d’immigration, d’intégration et de codéveloppement rendu public le 11 mai 2011.
*La rubrique d’à côté, consacrée aux « éditions » Michalon, vous donnera un aperçu de l’état de mon porte-monnaie.

30 juin 2011

Causses toujours

On apprend que les Causses et les Cévennes sont désormais inscrites au patrimoine mondial de l’humanité. Figurer à ce palmarès nous est présenté comme une grande victoire. De quoi s’agit-il ? D’une sorte de festival de Cannes du paysage ? D’un concours général de la ruralité ? Cette agitation autour d’endroits dont nul ne parle jamais m’a fichu un coup au moral. Il s’agit bien sûr de « favoriser le tourisme en donnant à la région une notoriété internationale ». Je redoute le pire. J’aime beaucoup les Cévennes, j’y passe au moins un mois par an, et j’apprécie qu’il n’y ait… rien. Pas de festival, pas de concert, pas d’animation, ou si peu. La fête de l’âne, tout au plus, curieusement peu courue… Je crains la création d’un « espace Cévennes », avec autant de « projets culturels », de « médiateurs environnementaux », drainant un afflux de touristes en habits bariolés crapahutant avec audioguide collé aux oreilles. Pourquoi pas un parc d’attraction, Caussania ou Cévenoland, promu par les comités d’entreprise sous forme de « forfaits week-end » ? Il faut bien « développer la région », me rétorque-t-on. C’est le touriste ou l’exploitation des gaz de schiste. Cette sorte de gaz naturel est extraite à partir de terrains schisteux ; le gouvernement a délivré discrètement en 2010 des permis autorisant l’industrie à prospecter dans le Midi-Pyrénées. Au programme, méthane à tous les étages, trous dans le sol, produits chimiques et eaux polluées.
Entre Charybde et Scylla, j’ai choisi, je préfère encore le touriste. Je ne suis pas gasochiste.

16 juin 2011

Un "américain-frites", un !

« La contribution belge à la culture mondiale, on le sait, se limite à des gaufres moles, quelques variétés de bières et du chocolat. » C’est en tout cas ce qu’affirme Danny Wind, un Américain. Cet auteur d’un livre au titre décalé, « Let’s kill the Belgians : A Child’s Guide to Genocide », pose une question brûlante : « Qu’ont fait les Belges de leur temps ? » Et propose une réponse loufdingue : « Peut-être que la Belgique étouffe le monde avec ses gaufres sucrées pour détourner notre attention de ses ambitions impérialistes grandissantes, alors que les Belges construisent une machine de guerre dont Alexandre le Grand ou Gengis Khan n’auraient pas osé rêver. Alors que l’Amérique tergiverse au Moyen Orient, le vrai ennemi se renforce. » Bigre, on tremble.
Son manuel d’instruction révèle aux enfants américains le plan démoniaque belge et leur donne les moyens de combattre l’invasion. Aux armes citoyens, le péril menace. Car « Si les Belges en avaient l’occasion, ils envahiraient l’Amérique ». Et ensuite, que se passerait-il ? « Les Belges tueraient votre maman et votre papa. Ils vous feraient apprendre le belge à l’école et vous feraient manger des gaufres trois fois par jour.» Des gaufres et peut-être même des choux de Bruxelles, cette abjection puante déguisée en aliment. Trop c’est trop. La bouffe comme extension du domaine de la guerre, ça, c’est vraiment dégueulasse.
Je parle très bien de ce livre, mais je n’ai pas pu me le procurer. Il a été retiré de la vente suite aux réactions pincées d’un certain nombre de journalistes. J’entends d’ici les forces de la bien-pensance faire la leçon d’une petite voix sucrée : « Ah, n’est-ce pas, on ne peut pas rire de tout, ce n’est pas le moment, vu les événements en Belgique… » Quels événements, du reste ? Que se passe-t-il de si grave qui nous interdise de rire ?
Extrayons le suc de ce fait divers. 1) Les forces de la bêtise sont toujours actives ; 2) L’humour belge est surfait ; 3) La gastronomie belge mérite un réexamen attentif et critique.
Messieurs les censeurs, bonsoir. Et si jamais Danny Wind lit ce post, je l’invite à dîner… Au menu, de l’« américain-frites », le plat préféré des Belges : ce sera la fête !