Les clubs « bébés nageurs » sont à la mode. Si vous n’avez pas de gosse, laissez-moi vous expliquer en quoi cela consiste. Dans l’eau chaude d’une piscine, on laisse macérer le cher mignon accompagné de ses parents et d’autres « puces ». Ce petit monde patauge donc dans un véritable bouillon de culture. Tout cela au nom du sacro-saint « épanouissement » du petit bout, puisqu’il paraît que cette « activité ludique » est indispensable pour que le bébé « développe son autonomie », sa « confiance en lui-même », sa capacité à « aller vers les autres ». Bref, c’est la révolution à la portée des nourrissons : liberté ! Dos crawlé ! Brasse coulée !
Mais qui croit bien faire se fourre parfois la nageoire dans l’œil. En effet, on apprend ces jours-ci que la piscine nuirait à la santé des enfants. Alerte dans les pédiluves ! Nager nuit gravement à la santé ! Un chercheur belge l’affirme : dans les piscines traitées au chlore, les produits organiques de dégradation attaquent l’organisme des enfants mâles de moins de 7 ans ; ça leur bouffe les couilles, leur pourrit le scrotum. A tel point que le risque de constater une fertilité défectueuse à l’âge adulte se voit multiplié par trois. C’est la conclusion d’une étude du professeur Alfred Bernard, toxicologue à l’UCL, un empêcheur de nager en rond qui avait déjà jeté un pavé dans le bassin l’année dernière en montrant que les bébés nageurs développaient quatre fois plus de bronchiolites que les autres.
Vous ne le saviez pas, mais les piscines portent le label « No Kid » ; une bonne raison pour s’y inscrire. Bientôt, même le mercredi on pourra s'ébattre en paix dans l'eau chlorée, entre adultes consentants et, de préférence, non-pissants.
30 septembre 2011
22 septembre 2011
Déjeuner en pets
Pour accompagner mon bol de café matinal, j’ouvre un magazine culturel. J’en tairai le nom, pour préserver l’emploi dans ce secteur déjà sinistré qu’est le journalisme. Un crayon de papier à la main, je souligne toutes les phrases en jargon qui s’offrent au lecteur : elles sont nombreuses, je m’amuse.
Bonjour le pathos. Pour commencer, un artiste n’a pas de style, il « déploie une grammaire visuelle qui lui est propre ». Un décor possède des « lignes de fuite », sinon il peut aller se faire déconstruire ailleurs. Un spectacle n’est pas seulement original, il doit « détricoter les codes du genre ». Un metteur en scène ne se contente pas de monter un spectacle ; il (ou elle) « adopte une posture volontiers politique », par exemple quand il montre des mickeys qui dansent sur scène « pour leur émancipation » : ce faisant, le créateur « s’attaque aux processus d’aliénation », aux « structures normatives ».
Mais l’essentiel, n’est-ce pas que l’artiste soit « décomplexé » ? Qu’il « assume l’envie de se faire plaisir » ? Mais alors, que se passerait-il s’il assumait l’envie de se faire mal ou de faire mal aux autres (ce qui arrive plus souvent qu’on ne croit) ? On ne pourrait pas lui en vouloir, c’est qu’il aurait « pris des risques » en « optant pour une série d’options radicales ».
Ne pas oublier que toute création réussie est, forcément, « jubilatoire et salutaire » : le plaisir ne suffit pas, il faut en plus qu’il nous soigne. Les effets de l’art sur le cerveau ne sont plus à démontrer : toute œuvre se voit étiquetée « antidote au prêt-à-penser ». Attention, quand on aime, on devient forcément « accro » - mais, contrairement à la cigarette, cela ne tue pas. Car les rivages de l’Art sont aussi, cela va de soi, ceux du Bien.
Bonjour le pathos. Pour commencer, un artiste n’a pas de style, il « déploie une grammaire visuelle qui lui est propre ». Un décor possède des « lignes de fuite », sinon il peut aller se faire déconstruire ailleurs. Un spectacle n’est pas seulement original, il doit « détricoter les codes du genre ». Un metteur en scène ne se contente pas de monter un spectacle ; il (ou elle) « adopte une posture volontiers politique », par exemple quand il montre des mickeys qui dansent sur scène « pour leur émancipation » : ce faisant, le créateur « s’attaque aux processus d’aliénation », aux « structures normatives ».
Mais l’essentiel, n’est-ce pas que l’artiste soit « décomplexé » ? Qu’il « assume l’envie de se faire plaisir » ? Mais alors, que se passerait-il s’il assumait l’envie de se faire mal ou de faire mal aux autres (ce qui arrive plus souvent qu’on ne croit) ? On ne pourrait pas lui en vouloir, c’est qu’il aurait « pris des risques » en « optant pour une série d’options radicales ».
Ne pas oublier que toute création réussie est, forcément, « jubilatoire et salutaire » : le plaisir ne suffit pas, il faut en plus qu’il nous soigne. Les effets de l’art sur le cerveau ne sont plus à démontrer : toute œuvre se voit étiquetée « antidote au prêt-à-penser ». Attention, quand on aime, on devient forcément « accro » - mais, contrairement à la cigarette, cela ne tue pas. Car les rivages de l’Art sont aussi, cela va de soi, ceux du Bien.
17 septembre 2011
Même pas mort, Michel n’aime pas le Nord
On demande le petit Michel à la caisse du supermarché ! Michel Houellebecq a disparu le 13 septembre. On l’attendait pour une campagne de promo en Belgique et en Hollande, mais il a préféré jouer les filles de l’air. Enlevé par Al-Qaïda ? Egaré entre la carte et le territoire ? Coupé en morceaux, comme dans le dénouement (grotesque) de son dernier livre ?
Aux dernières nouvelles, il vient de resurgir. Il était tout bonnement chez lui, en Espagne, tout portable éteint. La vérité, c’est que, malgré son nom à consonance flamande (Houellebecq = Welbeek), Michel nous boude. Il n’aime pas le Nord. Les chicons au gratin, le boudin de Liège, la carbonade flamande, non merci (on ne peut, du reste, pas lui donner entièrement tort sur ce point). Michel suit la boussole de ses papilles : un écrivain qui organise son agenda en fonction de ses goûts culinaires ne peut pas être entièrement mauvais. Du reste, d’après des rumeurs insistantes, son prochain opus s’intitulera « La Carte et la mangeoire ».
Aux dernières nouvelles, il vient de resurgir. Il était tout bonnement chez lui, en Espagne, tout portable éteint. La vérité, c’est que, malgré son nom à consonance flamande (Houellebecq = Welbeek), Michel nous boude. Il n’aime pas le Nord. Les chicons au gratin, le boudin de Liège, la carbonade flamande, non merci (on ne peut, du reste, pas lui donner entièrement tort sur ce point). Michel suit la boussole de ses papilles : un écrivain qui organise son agenda en fonction de ses goûts culinaires ne peut pas être entièrement mauvais. Du reste, d’après des rumeurs insistantes, son prochain opus s’intitulera « La Carte et la mangeoire ».
7 septembre 2011
Parlez-vous le lacanien ?
Jacques Lacan est mort il y a trente ans. Il était un maître à penser génial, hors norme et touche à tout. Un semeur de zizanie qui a été l’enjeu de deux scissions dans la communauté analytique en France, et qui a tout fait pour relancer l’ « épidémie » qu’est la psychanalyse. Il a mis d’emblée son enseignement sous le signe du « retour à Freud », et sa pensée a été novatrice sur bien des points. Avide de nouveaux espaces, il n’a eu de cesse de faire sortir la psychanalyse de ses gonds à l’aide de la culture.
Mais la « Lacanie », ce n’est malheureusement pas que la pratique sans modération du divan et la lecture des Séminaires. C’est aussi une communauté, des publications, des mœurs et, surtout, une langue de bois lourdingue qui aurait fait les délices de Molière. La Lacanie est un pays folklorique où les habitants, rassemblés dans des groupes où l’obéissance et le conformisme sont de rigueur, ressemblent souvent à des caricatures de notables de la rive gauche parisienne. Nos lacaniens font parfois penser à ces combattants retrouvés sur une île du Pacifique plusieurs décennies après la fin du dernier conflit mondial : ils ne savent pas que la guerre est finie et que le temps a passé. Ils sont parmi les seuls en France à parler un jargon pseudo-intello très seventies et à croire qu’ils sont subversifs.
Pour illustrer mon propos, voici la fable La cigale et la fourmi traduite (par mes soins) en jargon lacanien :
« Je propose un cas clinique contemporain qui met en lumière le jeu du désir et du manque chez l’hystérique. Le sujet C a un symptôme : c’est une dépensière compulsive. Cette jeune femme est identifiée à un trait familial qui peut être épinglé comme une propension à la surenchère dans la dépense. Il s’agit dans la fratrie de C d’une véritable pulsion d’autodestruction puisqu’elle mena jadis à la ruine plusieurs de ses ascendants. Une scène-pivot est décisive. Aux tout premiers jours de novembre, date annonciatrice de la déréliction des éléments et de la claustration du sujet, celui-ci commet un acting-out. C, après avoir dilapidé ses derniers avoirs bancaires, adresse un appel à l’aide sous forme d’une demande d’argent à F. Celle-ci est une voisine décrite par C comme « laide, moricaude et courte sur patte », mais matériellement mieux pourvue. Tout se passe comme si elle possédait le phallus dont C se voit comme privée. Elle le revendique alors en lançant à son opulente rivale une véritable injonction qui ne trouvera sa résolution que sous la forme du traumatique refus qui ponctue cette saynète. Il est clair que F met ici en question sa Weltanschauung et désigne comme béant le manque chez C. Le « non » auquel cette dernière s’affronte vient faire fonction d’interprétation pour le sujet, qui se trouve brutalement confronté à la perte d’une figure généreuse purement fantasmatique. Le « vous avez chanté tout l’été, eh bien dansez maintenant » dont la gratifie sans ménagement F vient redoubler cette scansion et épingler l’inconsistance subjective de C. Le nouage des éléments laisse peu de place à l’arrimage par le sujet à un désir authentique déployé sur la chaîne signifiante. Aussi le désir, posé ici comme manque destructeur, s’avère-t-il impossible à assumer. S’incarne alors dans le réel pour C la désintégration mortifère et le vide sans recours auquel elle risque d’être confrontée à très court terme. »
A lire : le feuilleton littéraire en ligne qui paraît tous les jours impairs : « Cocktails et terreur à Saint-Germain-des-Prés ». C’est la suite de « L’Affaire Hem », dont tout le monde parle encore au Café de Flore. Et c’est, bien sûr, sur le site fumeur : touchalon.free.fr
Mais la « Lacanie », ce n’est malheureusement pas que la pratique sans modération du divan et la lecture des Séminaires. C’est aussi une communauté, des publications, des mœurs et, surtout, une langue de bois lourdingue qui aurait fait les délices de Molière. La Lacanie est un pays folklorique où les habitants, rassemblés dans des groupes où l’obéissance et le conformisme sont de rigueur, ressemblent souvent à des caricatures de notables de la rive gauche parisienne. Nos lacaniens font parfois penser à ces combattants retrouvés sur une île du Pacifique plusieurs décennies après la fin du dernier conflit mondial : ils ne savent pas que la guerre est finie et que le temps a passé. Ils sont parmi les seuls en France à parler un jargon pseudo-intello très seventies et à croire qu’ils sont subversifs.
Pour illustrer mon propos, voici la fable La cigale et la fourmi traduite (par mes soins) en jargon lacanien :
« Je propose un cas clinique contemporain qui met en lumière le jeu du désir et du manque chez l’hystérique. Le sujet C a un symptôme : c’est une dépensière compulsive. Cette jeune femme est identifiée à un trait familial qui peut être épinglé comme une propension à la surenchère dans la dépense. Il s’agit dans la fratrie de C d’une véritable pulsion d’autodestruction puisqu’elle mena jadis à la ruine plusieurs de ses ascendants. Une scène-pivot est décisive. Aux tout premiers jours de novembre, date annonciatrice de la déréliction des éléments et de la claustration du sujet, celui-ci commet un acting-out. C, après avoir dilapidé ses derniers avoirs bancaires, adresse un appel à l’aide sous forme d’une demande d’argent à F. Celle-ci est une voisine décrite par C comme « laide, moricaude et courte sur patte », mais matériellement mieux pourvue. Tout se passe comme si elle possédait le phallus dont C se voit comme privée. Elle le revendique alors en lançant à son opulente rivale une véritable injonction qui ne trouvera sa résolution que sous la forme du traumatique refus qui ponctue cette saynète. Il est clair que F met ici en question sa Weltanschauung et désigne comme béant le manque chez C. Le « non » auquel cette dernière s’affronte vient faire fonction d’interprétation pour le sujet, qui se trouve brutalement confronté à la perte d’une figure généreuse purement fantasmatique. Le « vous avez chanté tout l’été, eh bien dansez maintenant » dont la gratifie sans ménagement F vient redoubler cette scansion et épingler l’inconsistance subjective de C. Le nouage des éléments laisse peu de place à l’arrimage par le sujet à un désir authentique déployé sur la chaîne signifiante. Aussi le désir, posé ici comme manque destructeur, s’avère-t-il impossible à assumer. S’incarne alors dans le réel pour C la désintégration mortifère et le vide sans recours auquel elle risque d’être confrontée à très court terme. »
A lire : le feuilleton littéraire en ligne qui paraît tous les jours impairs : « Cocktails et terreur à Saint-Germain-des-Prés ». C’est la suite de « L’Affaire Hem », dont tout le monde parle encore au Café de Flore. Et c’est, bien sûr, sur le site fumeur : touchalon.free.fr
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