Cher lecteur, je t’ai négligé. Tu t’en doutes, j’étais en vacances. En France, bien sûr, puisque, comme je l’ai écrit dans mon livre « Tchao la France », « la France est un paradis pour le touriste ». Je passe le mois d’août dans des gîtes ruraux où, dès l’arrivée, je détaille le contenu des rayonnages. Ils rassemblent souvent des incunables rendant l’âme, des rossignols sentant la poussière, des rebuts de grenier aux couvertures jaunies, bref tout ce qu’on ne lit plus. Jean Hougron, Mazo de la Roche, Henri Bosco ou Jean Carrière (« L’épervier de Maheux », ça vous dit forcément quelque chose ?) figurent en pôle-position du livre d’hier ou d’avant-hier. La spécialiste du déchet que je suis est à la fête. J’adore ces improbables dépôts d’ouvrages que l’on trouve fréquemment chez ceux que la page imprimée impressionne trop pour qu’ils songent à jeter un livre, même si plus personne ne l’ouvre.
Cette année, une fois le tour des vieilleries livresques effectué, je me suis approvisionnée à la bibliothèque publique la plus proche, celle de la Grand-Combe. Elle a le mérite de ne pas cacher ses opinions en se dénommant crânement « Germinal », ce qui convient parfaitement au teint de cette ancienne ville minière. J’y ai découvert un livre fabuleux. Il s’agit de « La saga des émigrants », du suédois Vilhem Moberg. Je vous raconte l’histoire ; en 1850, Kristina et Karl Oskar, un jeune couple de paysans scandinaves, décide de quitter sa terre stérile pour émigrer en Amérique, terre de tous les possibles. Ils sont accompagnés par deux valets de ferme, Robert, le frère de Karl Oskar, qui ne veut plus obéir à un maître, et par son compagnon Arvid, qui n’accepte plus d’être la risée du village. Seront du voyage également Danjel Andreasson, un hérétique qui souhaite croire librement, et Ulrika de Västergöhl, la prostituée que tous méprisent. Cette saga gigantesque de plusieurs milliers de pages est à la fois très documentée et inspirée. Voilà un livre totalement addictif sur l’exil, la force du rêve, le destin et les illusions perdues. Bravo ou « Snyggt jobbat », comme on dit là-bas dans le Nord.