25 février 2013

J'ai bouffé du cheval

Vive les duos. Qui ne connaît Dolce - Gabanna ? Et le duo de plume Fruttero - Lucentini, ces auteurs de polars italiens bien ficelés ? Et Albano - Romina Power, qui ont escaladé jadis les hit-parades avec le tube « Felicità » ? La France aussi tient à présent son couple de choc : il s’appelle Spanghero - Castel. Le premier s’illustre dans les lasagnes au canasson, le second dans la viande pourrie. Ce rata pas ragoûtant est mis et remis dans le circuit pour le meilleur bénéfice des intermédiaires alimentaires. Aux yeux de certains, ni l’argent ni la viande n’ont d’odeur. Il faut bien de petits arrangements avec la qualité, car un Occidental mange en moyenne l'équivalent de 21 000 animaux entiers durant son existence ; on se doute bien que ce n’est pas toujours du premier choix. Le droit démocratique de manger de la merde doit donc être défendu bec et ongles (de même que le droit de coucher avec des connards, comme le montre une actu récente qui sent le slip sale).
Mais revenons à nos moutons - chevaux. Tout le déballage actuel sur les dessous pas nets de l’industrie de la bidoche a permis de mettre en circulation un nouveau terme : le « minerai de viande ». C’est une ragougnasse agglomérée d’où proviennent les lasagnes, hachis, chili con carne, moussakas et autres steaks hachés industriels. Ami gastronome, bonjour. On imagine de nouveaux dialogues en prise avec l’actualité : « Ma puce, n’oublie pas d’emporter ton minerai de viande pour ton week-end chez les scouts ». « Mamie, ne te fatigue pas pour le dîner, on apporte le minerai de viande. » Pendant ce temps-là, Findus se fait un sang d’encre. Son business risque de tourner en eau de boudin. Qu’il ferme, tant pis pour lui - on achève bien les chevaux…
A lire : Jonathan Safran Foer, « Faut-il manger les animaux? », L'olivier, 2010.

22 février 2013

Va te faire recuire dans un minerai de viande roumaine

Vive la France ! C’est le titre d’un film récent, dont les affiches se sont multipliées sur le quai du Thalys, ce train écarlate (le fameux « rouge thalys ») qui relie Paris et Bruxelles. Mais je ne compte pas aller le voir, car le « pitch » du réalisateur sur France2 (« La France est un beau pays, j’aime mon pays ») ne m’a pas fait envie. Premier degré, nous voilà ! Laurent Lafitte, acteur d’un autre navet franchouille, « De l’autre côté du périphérique », se livre lui aussi à un petit numéro de patriotisme dans une interview : « Je dois beaucoup à la France, j’y ai effectué mes études au Conservatoire, jamais je ne la quitterai ». S’il avait voyagé, il saurait que d’autres pays dans le monde – pas croyable !- ont réussi à construire des écoles et à former la jeunesse.
Par contre, il y a un truc qui manque, chez nous, ce sont les intellos anti-France ; ou plus exactement des gens qui interrogent les mythes fondateurs nationaux et qui critiquent leur pays. L’Amérique a (entre autres) Noam Chomski et Michael Moore, la Suisse a Jean Ziegler, Israël a Schlomo Sand. En France : rien. Le livre le plus critiqué de BHL, un personnage qui tient pourtant en laisse les médias de France et de Navarre, a été L’idéologie française, un ouvrage cinglant qui allait dans la bonne direction, celle de la réflexion de fond sur l’Hexagone. Et, quand Béatrice Durand sort son excellent essai La nouvelle idéologie française en 2010, c’est le calme plat. Même chose pour mon livre Tchao la France, accusé d’être un ramassis de lieux communs.
Il est vrai que je n’y vais pas de main morte. Je l’avoue dans ce livre, je ne dis pas merci à la France. J’y ai été scolarisée, la belle affaire ! Je n’y ai rien fait que je n’aurais pu faire ailleurs, dans d’autres pays occidentaux. J’ai eu un boulot crétin en entreprise, comme beaucoup de gens, et je n’ai pas de reconnaissance à exprimer pour ça. J’ai publié des livres qui auraient pu l’être sous d’autres cieux, la preuve : ils ont été traduits dans plusieurs langues. Je ne jouis d’aucun poste envié au sein de commissions, de comités, de conseils. Je n’ai jamais voyagé aux frais de la princesse, jamais touché un euro sur le dos du contribuable (il faut le reconnaître, par ignorance du mode d’emploi autant que par honnêteté). Je n’ai jamais bénéficié d’un emploi fictif ; euh… Pour ce dernier, il est peut-être encore temps. Alors, oui, je postule, et qu’on se le dise, j’aime la France. Je l’aime, c’est un pays magnifique, et ceux qui la critiquent sont des traîtres – mon CV, je l’envoie où ? Ces salauds d’anti-France, qu’ils aillent se faire recuire ailleurs ! Dans un minerai de viande roumaine, par exemple !

9 février 2013

No Belgium

Ne venez pas chez nous : il fait froid, il pleut tout le temps, vous aurez du mal à trouver un emploi et celui-ci sera mal payé. C’est le message que le gouvernement britannique voudrait faire passer en 2013 ; il veut « corriger l’illusion que les rues sont pavées d’or » et planche sur le lancement d’une campagne de publicité dénigrant la Grande-Bretagne auprès des Bulgares et des Roumains tentés par l’émigration.
Les Français aussi quittent leur pays en masse. Et je ne parle pas des warriors musclés qui officient au Mali, officiellement pour combattre les méchants terroristes, en réalité pour « sécuriser » les précieuses mines d’uranium du Niger voisin, indispensables au bon fonctionnement de la filière nucléaire française. "Un tiers des ampoules françaises brillent grâce au Niger", affirme un expert dans l'excellent dossier du journal espagnol El Païs, "Golpear Mali para salvar Niger" (Frapper le Mali pour sauver le Niger"), daté du 5 février dernier.
Je parles des autres Français, ceux qui s’éparpillent en Floride, font souche à Berlin, prennent racine à Londres. Et de ceux qui prennent le Thalys. En Belgique, où j’habite, il y a de plus en plus de Français. Dans ma rue, dans les bistrots, dans le tram : bientôt, ce sera à nouveau comme chez soi. Et ça, pas question. Je ne suis pas venue pour ça. Alors, amis Français, je vous en conjure : ne venez pas outre-Quiévrain. Y vivre, croyez-moi, n’est pas une sinécure. Il pleut tout l’été (de même qu’en automne, en hiver et au printemps). On mange très mal, et cher : le panier de la ménagère coûte 20% de plus qu’en France. Trouver un emploi salarié quand on ne parle pas néerlandais est mission impossible. Vous aimez le cinéma ? Sachez qu’il n’y a que six salles de cinéma à Bruxelles. Vous aimez la mer ? La côte belge est horrible, défigurée par une rangée de buildings de type HLM. Vous aimez vous promener ? Le paysage urbain est défiguré par les chats de Philippe Geluck, ces personnages difformes et niais qui polluent les rues par leur omniprésence sous forme d’affiches et de pubs.
Bref, ne me rejoignez pas. Je lance un appel du 18 juin à l’envers, cela donne Leppal ud 81 Niuj. Qu’on se le dise !

13 janvier 2013

Où sont les Frenchy Riot ?


Les femmes sont à la fête. Le Haut Conseil à l’égalité hommes-femmes est né le 8 janvier. Il s’agit de « créer des consensus autour d’une expertise renforcée », explique une ministre. Il y aura une « synergie de moyens » entre les organismes jusqu’alors chargés du dossier, qui seront « redéployés ». Le citoyen, et surtout la citoyenne, attend la suite : on imagine qu’il faudra « définir les critères », « choisir les indicateurs », « mettre en place le dispositif ». Quid des « démarches d’autoévaluation », des « tableaux de bords », des « bonnes pratiques », de la « création de valeur » ?
Il y a du boulot. En France, les écarts de salaire entre hommes et femmes sont particulièrement élevés, et où les femmes n’accèdent que rarement aux postes à responsabilité. Le Global gender gap établi tous les ans par le Forum économique mondial est sans appel : en 2012, la France se classe au 57e rang – au même niveau qu’un pays qui n’est pas connu pour son féminisme, la Russie. Cette dernière a ses Pussy Riot, à quand les Frenchy Riot ?

2 janvier 2013

No Catho

L'année 2012 a été l'année catho. On les croyait transis, balayés par l'union libre et le pacs, rencognés dans des églises en ruines, point du tout, ils tiennent la forme, ils ont la trique. Ils sont partis en croisade contre le mariage homosexuel, un dispositif qui, pourtant, ne les concerne en rien et ne leur retire rien. Les 14 pays ayant déjà donné un cadre légal au "mariage pour tous" se portent très bien, et "l'ordre symbolique" ne s'en est pas trouvé ébranlé pour si peu.
Les cathos sont aussi présents sur le champ éditorial. Avec "Le sermon sur la chute de Rome", prix Goncourt de l'année, Jérôme Ferrari invente un nouveau genre. On connaissait déjà le roman homo, le roman sado-maso, à présent voilà le roman catho. Emphase, sermon, pathos, ce livre s'édifie en prédication pour s'effondrer en prêche. Chaque titre de chapitre provient des sermons d'Augustin, une petite odeur de sacristie plane. Et, je l'avoue, je n'ai pas vu le rapport entre la vie du saint et l'ouverture d'un bar en Corse ; les deux propos de l'ouvrage, non contents d'être cousus de fil blancs, sont mal goupillonnés.
Personnages inconsistants, phrases trop longues, platitudes convenues - que veut dire l'auteur ? A quoi tout cela rime-t-il ? Pour ceux qui n'ont pas compris, voilà le message, maintes fois martelé : "Mais nous savons ceci : pour qu'un monde nouveau surgisse, il faut d'abord que meure un monde ancien". Très fort. En résumé, tout passe, tout lasse (sauf les glaces, ajoutait une réclame des années 1970). Hélas, la mauvaise littérature lasse aussi. Car ce roman flirte quand même d'un peu près avec le kitch : «Il croyait à l’éternité des choses éternelles, à leur noblesse inaltérable, inscrite au fronton d’un ciel haut et pur. Et il cessa d’y croire», «Il était comme un homme qui vient de faire fortune, après des efforts inouïs, dans une monnaie qui n’a plus cours». Le plus beau : "Une expression juvénile éclairait encore le visage de l'homme qu'il était devenu là-bas, dans ces contrées inimaginables où l'écume de la mer était translucide et luisait sous le soleil comme une gerbe de diamants". C'est du lourd. On est tellement lesté qu'on touche le fond.
"Rien ne s'épuise plus vite que l'improbable miséricorde de Dieu", nous assène Jérôme Ferrari (amen). Si : la bienveillance du lecteur.

17 décembre 2012

Depardieu se fait la malle, scandale national

Gérard Depardieu quitte la France et s’installe en Belgique. Quand il brûlera son passeport, ce sera sans nul doute très cinématographique. Il a certainement lu « Tchao la France », un livre qui était destiné à mes compatriotes qui rament et non à ceux qui optimisent leur fiscalité - on ne sait jamais à qui on s’adresse quand on écrit. Toujours est-il qu’on assiste à un déferlement nationaliste dans les médias français. Faire la nique à notre beau pays, quel salaud ce Gérard ! Déserteur, mauvais patriote ! Attention, la chasse au mauvais Français est ouverte. Mais l’honneur de la patrie est sauf, car on apprend à point nommé que l’écrivain Michel Houellebecq, lui, revient.


Il est vrai que depuis des siècles ceux qui quittent le pays, volontairement ou pas, sont suspects : les Protestants, les nobles sous la Révolution, les rebelles de 1848, les Communards… Autant de traîtres et de renégats. Face au psychodrame Depardieu, le gouvernement se déchaîne : leçons de morale citoyennes, projet de réforme de la nationalité, il lui faut agir. Au lieu de promettre des fessées, nos édiles feraient mieux de s’occuper de leurs fesses. Le non-cumul des mandats, réforme qui devait être la « nouvelle frontière » du PS, ça en est où ? Disparu, évaporé ? Se serait-il lui aussi fait la malle ?

13 décembre 2012

C'est beau comme l'antique

Un mini-Louvre a ouvert le 4 décembre à Lens, dans le Nord de la France. Est-ce une « antenne » du Louvre de Paris ? Un « satellite » ? Une « nouvelle aile » ? Le statut de cette nouvelle institution, qui a été « chapeautée » par le conseil régional, est peu clair. Il serait trivial de la décrire comme une simple filiale du Louvre. Le Guggenheim, L’Hermitage, ont « essaimé », pourquoi pas le Louvre ?
Le lecteur de ce billet l’a compris, la langue de bois s’impose dans la presse. Le Louvre-Lens n’est pas un musée, c’est un « espace muséal », doté d’une « scénographie novatrice » (magnifique pathos ! Les photos nous montrent pourtant des œuvres présentées bêtement sur un sol blanc, et montées sur de banals socles au look d'iPhone, blancs eux aussi. Ne manque que l’équipe médicale).
Pas de doute, les nombreux chômeurs du coin vont apprécier. Pensez, tout ce qu’on fait pour eux ! Le mini-machin doit créer une « dynamique » destinée à « revitaliser » le « territoire ». Car l’art, c’est bien connu, est un « réparateur de crise industrielle » (ah bon ?). A condition, bien sûr, que la population locale se « l’approprie ». Ce qui demeure à voir. Si ce n’est pas le cas, elle aura bientôt une cession de rattrapage à l’aéroport de Roissy, situé à seulement deux heures de route de là.
Oui, ô merveille, le terminal E2 va lui aussi se doter d’un « espace muséal » (encore !) de 250 m2. Le « concept » est inédit mais la « démarche » existe déjà en Hollande et aux Etats-Unis. Ce sera Rodin qui ouvrira le bal car, comme l’explique le cofondateur du projet, Francis Briest , « On a pensé que Rodin portait un message universel ». Bravo ! Finement analysé ! Et tout cela constituera rien moins qu’un « entonnoir de culture », écrit le Figaro. J’ai déjà les dents du fond qui baignent… Et à Notre-Dame-des-Landes, ils ont prévu quoi ?