23 juillet 2011

Le Prince et la bergère

MLP (Marine Le Pen) tend la main à la Wallonie. Elle fait de grands signes : « Venez, rejoignez-nous ! » La Wallonie rattachée à l’Hexagone ? On ignore si elle le souhaite. Certes la pauvrette pourrait se trouver un peu seule sur la carte de l’Europe au cas où la Belgique éclaterait. Mais qui vivra verra, et chocolat peut-être sera. Pour l’instant, tout est calme Outre-Quiévrain. Pas de gouvernement – et alors ? Mieux vaut pas assez que trop. Depuis 2007, des indicateurs comme la confiance des consommateurs ou celle des chefs d'entreprise évoluent exactement de la même façon en Belgique et dans l'ensemble de la zone euro. Et depuis sept mois, pas la moindre trace de décrochage de la confiance des Belges sur leur situation économique par rapport à ce qui est observé dans les pays qui les entourent. Y a pas le feu à Knokke-le-zoute.
Mais la tendance est au frotti-frotta franco-belge. L’histoire d’amour de l’industriel Arnaud Lagardère et du mannequin belge Jade Foret donne le ton. Demandez la vidéo sur youtube, qui compte déjà 500 000 spectateurs d’un spectacle kitch digne des seventies. La robe panthère de la demoiselle, ses bottes avec des petites fleurs, l’air d’amoureux transi du ténébreux capitaine d’industrie, y sont pour beaucoup… C’est vraiment dommage qu’ils ne chantent pas. On les imagine reprendre en duo « Besoin de rien envie de toi », le tube de Peter et Sloane. Allez, une chanson, une chanson ! Et, par pitié, épargnez-nous la Marseillaise et la Brabançonne.
(Pour les vacances, l’indispensable feuilleton de l’édition : touchalon.free.fr)

18 juillet 2011

Dans le chaudron d’Astérix le Gaulois

Je vous disais dans mon post précédent que les Français de l’étranger (de même que les cosmopolites et autres inclassables) sont parfois suspects. La preuve : Eva Joly, à la fois Norvégienne et Française, candidate écolo à la présidentielle, s’est vue reprocher sa bi-nationalité. Elle propose de remplacer le défilé du 14 juillet par un défilé « citoyen » ? C’est parce qu’elle ne comprend rien à la « francitude » - la pauvre, elle descend de son drakkar. Il paraît que quant on n’est pas un « vrai Français », on n’a pas la République dans son ADN, on n’a pas la nation dans son logiciel.
Moi, franchement, je n’aime ni les défilés militaires ni les défilés citoyens. Les rodomontades nationalistes me déplaisent autant que les culcul-teries mièvres et rassembleuses. Par définition, tout ce qui porte l’adjectif « militaire » ou « citoyen » suscite chez moi la méfiance. Chère Marianne, pour le 14 juillet, tu peux te garder les parades à la noix. Moi je veux bien célébrer quelque chose, mais avec de la bonne bouffe et de la picole. Et cette année, je me suis sentie flouée. La réception organisée par l’Ambassade de France en Belgique pour la fête nationale faisait un peu pauvre. Vu la qualité médiocre du mousseux, il est clair qu’il y a un problème en métropole.
Qu’est-ce que vous foutez, les Français de France ? Vous pensez peut-être que les émigrés ont oublié le goût du vrai champagne ? Dîtes la vérité, nous ne nous aimez pas, nous qui sommes partis à l’insu de votre plein gré. Des orgies, nous voulons des orgies. Quant au reste, les bustes en plâtre, le drapeau tricolore, la Marseillaise et autres marches des fiertés pour gros muscles, vous pouvez les oublier à la consigne avant de monter dans le train.

9 juillet 2011

Un Français sans la France est comme un poisson sans bicyclette

Je suis contente. David Douillet, populaire champion de judo, va représenter les deux millions et demi* de Français de l’étranger. Bien sûr, j’aurais préféré Yannick Noah, qui habite New York : vivre ailleurs, il connaît. Mais avec David nous serons, c’est certain, bien défendus. On en a besoin, car certains ne nous aiment pas. La preuve, les projets de remise en cause de la pluri-nationalité et la proposition (retoquée) de surtaxation des résidences secondaires des Français vivant au-delà des frontières. C’est que celui qui est parti est suspect. C’est quelqu’un qui n’aime pas la France. C’est un traître au régime, comme ces nobles qui ont fui la Révolution en 1789 ; c’est un agitateur, comme ces républicains et communards exilés au XIXe siècle. C’est un planqué, comme ces millionnaires qui fuient lâchement la fiscalité républicaine. Une atmosphère de défiance et de soupçon nous entoure comme un halo déplaisant. L’autre jour, à Paris, un inconnu m’a alpagué dans la rue pour me demander : « Madame Maier, vous êtes partie pour des raisons fiscales ou politiques ? » Pourquoi faut-il sans cesse se justifier* ?
Mais les politiques ne peuvent pas négliger le million d’électeurs, dont le vote sera décisif pour la présidentielle de 2012. Alors, un petit coup de pommade sur le dos ? Moi j’aime qu’on me flatte, qu’on me cire les pompes. Qu’on me dise que je suis, quelque part, une ambassadrice de la France en terre étrangère. Qu’on me réserve des invitations pour le buffet du 14 juillet à l’Ambassade. Pourquoi pas des sièges réservés dans les transports franciliens, qui nous seraient utiles lors de nos passages en métropole ? Et des tickets d’alimentation (parce que la bouffe, à l’étranger, il faut bien reconnaître que c’est pas toujours ça) ? A quand les paniers-orgies distribués par les consulats de France ? Les largages de vivre effectués depuis les avions Air France ? A moi vaches, cochons, couvées, œufs en meurette, paupiettes, fromage de tête, andouillettes, blanquettes, alouettes…
La France me donne faim. Un électeur bien nourri est un électeur conquis.

*D’après l’audit des parlementaires de la politique d’immigration, d’intégration et de codéveloppement rendu public le 11 mai 2011.
*La rubrique d’à côté, consacrée aux « éditions » Michalon, vous donnera un aperçu de l’état de mon porte-monnaie.

30 juin 2011

Causses toujours

On apprend que les Causses et les Cévennes sont désormais inscrites au patrimoine mondial de l’humanité. Figurer à ce palmarès nous est présenté comme une grande victoire. De quoi s’agit-il ? D’une sorte de festival de Cannes du paysage ? D’un concours général de la ruralité ? Cette agitation autour d’endroits dont nul ne parle jamais m’a fichu un coup au moral. Il s’agit bien sûr de « favoriser le tourisme en donnant à la région une notoriété internationale ». Je redoute le pire. J’aime beaucoup les Cévennes, j’y passe au moins un mois par an, et j’apprécie qu’il n’y ait… rien. Pas de festival, pas de concert, pas d’animation, ou si peu. La fête de l’âne, tout au plus, curieusement peu courue… Je crains la création d’un « espace Cévennes », avec autant de « projets culturels », de « médiateurs environnementaux », drainant un afflux de touristes en habits bariolés crapahutant avec audioguide collé aux oreilles. Pourquoi pas un parc d’attraction, Caussania ou Cévenoland, promu par les comités d’entreprise sous forme de « forfaits week-end » ? Il faut bien « développer la région », me rétorque-t-on. C’est le touriste ou l’exploitation des gaz de schiste. Cette sorte de gaz naturel est extraite à partir de terrains schisteux ; le gouvernement a délivré discrètement en 2010 des permis autorisant l’industrie à prospecter dans le Midi-Pyrénées. Au programme, méthane à tous les étages, trous dans le sol, produits chimiques et eaux polluées.
Entre Charybde et Scylla, j’ai choisi, je préfère encore le touriste. Je ne suis pas gasochiste.

16 juin 2011

Un "américain-frites", un !

« La contribution belge à la culture mondiale, on le sait, se limite à des gaufres moles, quelques variétés de bières et du chocolat. » C’est en tout cas ce qu’affirme Danny Wind, un Américain. Cet auteur d’un livre au titre décalé, « Let’s kill the Belgians : A Child’s Guide to Genocide », pose une question brûlante : « Qu’ont fait les Belges de leur temps ? » Et propose une réponse loufdingue : « Peut-être que la Belgique étouffe le monde avec ses gaufres sucrées pour détourner notre attention de ses ambitions impérialistes grandissantes, alors que les Belges construisent une machine de guerre dont Alexandre le Grand ou Gengis Khan n’auraient pas osé rêver. Alors que l’Amérique tergiverse au Moyen Orient, le vrai ennemi se renforce. » Bigre, on tremble.
Son manuel d’instruction révèle aux enfants américains le plan démoniaque belge et leur donne les moyens de combattre l’invasion. Aux armes citoyens, le péril menace. Car « Si les Belges en avaient l’occasion, ils envahiraient l’Amérique ». Et ensuite, que se passerait-il ? « Les Belges tueraient votre maman et votre papa. Ils vous feraient apprendre le belge à l’école et vous feraient manger des gaufres trois fois par jour.» Des gaufres et peut-être même des choux de Bruxelles, cette abjection puante déguisée en aliment. Trop c’est trop. La bouffe comme extension du domaine de la guerre, ça, c’est vraiment dégueulasse.
Je parle très bien de ce livre, mais je n’ai pas pu me le procurer. Il a été retiré de la vente suite aux réactions pincées d’un certain nombre de journalistes. J’entends d’ici les forces de la bien-pensance faire la leçon d’une petite voix sucrée : « Ah, n’est-ce pas, on ne peut pas rire de tout, ce n’est pas le moment, vu les événements en Belgique… » Quels événements, du reste ? Que se passe-t-il de si grave qui nous interdise de rire ?
Extrayons le suc de ce fait divers. 1) Les forces de la bêtise sont toujours actives ; 2) L’humour belge est surfait ; 3) La gastronomie belge mérite un réexamen attentif et critique.
Messieurs les censeurs, bonsoir. Et si jamais Danny Wind lit ce post, je l’invite à dîner… Au menu, de l’« américain-frites », le plat préféré des Belges : ce sera la fête !

11 juin 2011

Women remix ?

La France, pour les femmes, ça craint. Ne me dîtes pas que vous été dupe de la mystique égalitaire française, « nous en France on peut avoir des enfants et bosser en même temps, on a de la chance » ? Travailler en France, oui, les femmes peuvent, mais pour faire quoi ? Un truc un peu nul et sans perspectives ? Ou alors à mi-temps et « dis merci à ton employeur car tu as le temps de t’occuper de tes gosses ? » Pas étonnant qu’au palmarès des inégalités hommes-femmes dans le monde, la France fasse figure de tortue. D’après un classement établi par le Forum économique mondial sur 134 pays, elle est à la 46e position en 2010, juste derrière la Pologne, la Jamaïque et la Russie. Les mieux classés sont les Scandinaves, peut-être parce qu’ils habitent la patrie du Père Noël.
Les langues se délient, l’affaire DSK pourrait contribuer à « faire bouger les lignes », comme on dit en sarkolangue. Il était temps. Je vous raconte une anecdote significative. Je me rends au Salon du livre de Paris il y a quelques années. Je vais à la rencontre d’un éditeur avec lequel j’ai signé un contrat pour rédiger un petit ouvrage de vulgarisation. Lui et moi on ne s’est jamais rencontrés, on a échangé par emails ; sur le stand de sa maison d’édition, je m’avance vers lui, et je me présente. Il me tourne illico le dos et se met à parler à quelqu’un d’autre. Je pense qu’il n’a pas entendu, je recommence, « Bonjour, je m’appelle Corinne Maier…». Il me regarde à peine et lâche : « Ah, je vous demande une minute ». J’attends un peu, il est toujours occupé, tant pis, je quitte l’étal, passe devant lui en faisant un salut de la main. Là, pour la première fois, il me regarde vraiment, et il marmonne : « Excusez-moi, je vous avais prise pour une stagiaire ».
Être une femme, c’est être prise pour une stagiaire tout le temps. Ca veut dire qu’on vous laisse le strapontin, le tabouret ou l’escabeau, et parfois la sellette. Bref, un siège d’appoint. Mais tout va changer pour moi, non pas parce que l’égalité progresse à pas de géant, mais parce que je vieillis. Bientôt, on ne pourra plus me prendre pour une stagiaire. On me proposera peut-être une chaise, une vraie chaise, où je pourrai prendre mes aises. A moins que, d’ici là, je n’aie le cul dans le beurre : plus besoin de quémander pour m’asseoir. Mon portefeuille bien rempli me permettra de m’offrir une chaise à porteur.

3 juin 2011

“The tree of life” : quand Bambi traverse le styx

Le film « The tree of life » est un film extra-doux. On ressort de là dans un drôle d’état : navré, embarbouillé, tout confus de niaiserie. On a les jambes lourdes d’avoir traversé un si long marécage. Cette matière collante et glissante, qui gicle de partout, c’est quoi, au fond ? De l’âme ? De l’âme en poncifs ? De la belle âme ? Quelque chose d’assez indigeste pour que l’envie de se moquer et de ricaner se soit éteinte au fil des images. N’empêche que ça plait. Les critiques sont bonnes, peu reculent devant ce monument de kitch new age. Ça plane. Rien ne fait peur à Terrence Malick. Terre vue du ciel, dinosaures, parcs naturels américains, paramécies, c’est beau la vie. On a de la chance de vivre sur terre. L’actrice est belle, ses vêtements sont larges, elle est pieds-nus, elle marche lentement ; une voix off susurre des choses profondes, tandis que la musique (une messe) nous fait comprendre que c’est très-très profond. Dès fois que le spectateur n’aurait pas compris… Emotion, c’est le cri de ralliement. On n’en revient pas de tout ce nirvana. A un moment, le film manque de basculer – le père est vraiment trop autoritaire. Mais qu’on se rassure, ça ne dure pas. Finalement, la famille, tout compte fait, c’est de l’amour. Et voilà. Du point de vue de la morale, c’est irréprochable. Du point de vue du neuf, ou simplement de l’humour, c’est un désastre, pas l’ombre d’un trait d’esprit, pas une once d’ironie, tout est d’un premier degré abject. Et, je vous le donne en mille, la sagesse de la fin, injectée sous forme d’un prosélytisme de l’Inexprimable : par amour, on peut accepter de perdre un être cher. Par amour. Vous comprenez ? Cela va loin, n’est-ce pas. Bienvenue au royaume de la nouvelle religiosité enchantée. Mais rien n’est perdu : le spectacle de tous ces metteurs en scène en train de prendre la route des mythes et des contes de fées est en lui-même un sujet de film. De film comique, bien entendu.