Pour accompagner mon bol de café matinal, j’ouvre un magazine culturel. J’en tairai le nom, pour préserver l’emploi dans ce secteur déjà sinistré qu’est le journalisme. Un crayon de papier à la main, je souligne toutes les phrases en jargon qui s’offrent au lecteur : elles sont nombreuses, je m’amuse.
Bonjour le pathos. Pour commencer, un artiste n’a pas de style, il « déploie une grammaire visuelle qui lui est propre ». Un décor possède des « lignes de fuite », sinon il peut aller se faire déconstruire ailleurs. Un spectacle n’est pas seulement original, il doit « détricoter les codes du genre ». Un metteur en scène ne se contente pas de monter un spectacle ; il (ou elle) « adopte une posture volontiers politique », par exemple quand il montre des mickeys qui dansent sur scène « pour leur émancipation » : ce faisant, le créateur « s’attaque aux processus d’aliénation », aux « structures normatives ».
Mais l’essentiel, n’est-ce pas que l’artiste soit « décomplexé » ? Qu’il « assume l’envie de se faire plaisir » ? Mais alors, que se passerait-il s’il assumait l’envie de se faire mal ou de faire mal aux autres (ce qui arrive plus souvent qu’on ne croit) ? On ne pourrait pas lui en vouloir, c’est qu’il aurait « pris des risques » en « optant pour une série d’options radicales ».
Ne pas oublier que toute création réussie est, forcément, « jubilatoire et salutaire » : le plaisir ne suffit pas, il faut en plus qu’il nous soigne. Les effets de l’art sur le cerveau ne sont plus à démontrer : toute œuvre se voit étiquetée « antidote au prêt-à-penser ». Attention, quand on aime, on devient forcément « accro » - mais, contrairement à la cigarette, cela ne tue pas. Car les rivages de l’Art sont aussi, cela va de soi, ceux du Bien.