On apprend que les Causses et les Cévennes sont désormais inscrites au patrimoine mondial de l’humanité. Figurer à ce palmarès nous est présenté comme une grande victoire. De quoi s’agit-il ? D’une sorte de festival de Cannes du paysage ? D’un concours général de la ruralité ? Cette agitation autour d’endroits dont nul ne parle jamais m’a fichu un coup au moral. Il s’agit bien sûr de « favoriser le tourisme en donnant à la région une notoriété internationale ». Je redoute le pire. J’aime beaucoup les Cévennes, j’y passe au moins un mois par an, et j’apprécie qu’il n’y ait… rien. Pas de festival, pas de concert, pas d’animation, ou si peu. La fête de l’âne, tout au plus, curieusement peu courue… Je crains la création d’un « espace Cévennes », avec autant de « projets culturels », de « médiateurs environnementaux », drainant un afflux de touristes en habits bariolés crapahutant avec audioguide collé aux oreilles. Pourquoi pas un parc d’attraction, Caussania ou Cévenoland, promu par les comités d’entreprise sous forme de « forfaits week-end » ? Il faut bien « développer la région », me rétorque-t-on. C’est le touriste ou l’exploitation des gaz de schiste. Cette sorte de gaz naturel est extraite à partir de terrains schisteux ; le gouvernement a délivré discrètement en 2010 des permis autorisant l’industrie à prospecter dans le Midi-Pyrénées. Au programme, méthane à tous les étages, trous dans le sol, produits chimiques et eaux polluées.
Entre Charybde et Scylla, j’ai choisi, je préfère encore le touriste. Je ne suis pas gasochiste.
30 juin 2011
16 juin 2011
Un "américain-frites", un !
« La contribution belge à la culture mondiale, on le sait, se limite à des gaufres moles, quelques variétés de bières et du chocolat. » C’est en tout cas ce qu’affirme Danny Wind, un Américain. Cet auteur d’un livre au titre décalé, « Let’s kill the Belgians : A Child’s Guide to Genocide », pose une question brûlante : « Qu’ont fait les Belges de leur temps ? » Et propose une réponse loufdingue : « Peut-être que la Belgique étouffe le monde avec ses gaufres sucrées pour détourner notre attention de ses ambitions impérialistes grandissantes, alors que les Belges construisent une machine de guerre dont Alexandre le Grand ou Gengis Khan n’auraient pas osé rêver. Alors que l’Amérique tergiverse au Moyen Orient, le vrai ennemi se renforce. » Bigre, on tremble.
Son manuel d’instruction révèle aux enfants américains le plan démoniaque belge et leur donne les moyens de combattre l’invasion. Aux armes citoyens, le péril menace. Car « Si les Belges en avaient l’occasion, ils envahiraient l’Amérique ». Et ensuite, que se passerait-il ? « Les Belges tueraient votre maman et votre papa. Ils vous feraient apprendre le belge à l’école et vous feraient manger des gaufres trois fois par jour.» Des gaufres et peut-être même des choux de Bruxelles, cette abjection puante déguisée en aliment. Trop c’est trop. La bouffe comme extension du domaine de la guerre, ça, c’est vraiment dégueulasse.
Je parle très bien de ce livre, mais je n’ai pas pu me le procurer. Il a été retiré de la vente suite aux réactions pincées d’un certain nombre de journalistes. J’entends d’ici les forces de la bien-pensance faire la leçon d’une petite voix sucrée : « Ah, n’est-ce pas, on ne peut pas rire de tout, ce n’est pas le moment, vu les événements en Belgique… » Quels événements, du reste ? Que se passe-t-il de si grave qui nous interdise de rire ?
Extrayons le suc de ce fait divers. 1) Les forces de la bêtise sont toujours actives ; 2) L’humour belge est surfait ; 3) La gastronomie belge mérite un réexamen attentif et critique.
Messieurs les censeurs, bonsoir. Et si jamais Danny Wind lit ce post, je l’invite à dîner… Au menu, de l’« américain-frites », le plat préféré des Belges : ce sera la fête !
Son manuel d’instruction révèle aux enfants américains le plan démoniaque belge et leur donne les moyens de combattre l’invasion. Aux armes citoyens, le péril menace. Car « Si les Belges en avaient l’occasion, ils envahiraient l’Amérique ». Et ensuite, que se passerait-il ? « Les Belges tueraient votre maman et votre papa. Ils vous feraient apprendre le belge à l’école et vous feraient manger des gaufres trois fois par jour.» Des gaufres et peut-être même des choux de Bruxelles, cette abjection puante déguisée en aliment. Trop c’est trop. La bouffe comme extension du domaine de la guerre, ça, c’est vraiment dégueulasse.
Je parle très bien de ce livre, mais je n’ai pas pu me le procurer. Il a été retiré de la vente suite aux réactions pincées d’un certain nombre de journalistes. J’entends d’ici les forces de la bien-pensance faire la leçon d’une petite voix sucrée : « Ah, n’est-ce pas, on ne peut pas rire de tout, ce n’est pas le moment, vu les événements en Belgique… » Quels événements, du reste ? Que se passe-t-il de si grave qui nous interdise de rire ?
Extrayons le suc de ce fait divers. 1) Les forces de la bêtise sont toujours actives ; 2) L’humour belge est surfait ; 3) La gastronomie belge mérite un réexamen attentif et critique.
Messieurs les censeurs, bonsoir. Et si jamais Danny Wind lit ce post, je l’invite à dîner… Au menu, de l’« américain-frites », le plat préféré des Belges : ce sera la fête !
11 juin 2011
Women remix ?
La France, pour les femmes, ça craint. Ne me dîtes pas que vous été dupe de la mystique égalitaire française, « nous en France on peut avoir des enfants et bosser en même temps, on a de la chance » ? Travailler en France, oui, les femmes peuvent, mais pour faire quoi ? Un truc un peu nul et sans perspectives ? Ou alors à mi-temps et « dis merci à ton employeur car tu as le temps de t’occuper de tes gosses ? » Pas étonnant qu’au palmarès des inégalités hommes-femmes dans le monde, la France fasse figure de tortue. D’après un classement établi par le Forum économique mondial sur 134 pays, elle est à la 46e position en 2010, juste derrière la Pologne, la Jamaïque et la Russie. Les mieux classés sont les Scandinaves, peut-être parce qu’ils habitent la patrie du Père Noël.
Les langues se délient, l’affaire DSK pourrait contribuer à « faire bouger les lignes », comme on dit en sarkolangue. Il était temps. Je vous raconte une anecdote significative. Je me rends au Salon du livre de Paris il y a quelques années. Je vais à la rencontre d’un éditeur avec lequel j’ai signé un contrat pour rédiger un petit ouvrage de vulgarisation. Lui et moi on ne s’est jamais rencontrés, on a échangé par emails ; sur le stand de sa maison d’édition, je m’avance vers lui, et je me présente. Il me tourne illico le dos et se met à parler à quelqu’un d’autre. Je pense qu’il n’a pas entendu, je recommence, « Bonjour, je m’appelle Corinne Maier…». Il me regarde à peine et lâche : « Ah, je vous demande une minute ». J’attends un peu, il est toujours occupé, tant pis, je quitte l’étal, passe devant lui en faisant un salut de la main. Là, pour la première fois, il me regarde vraiment, et il marmonne : « Excusez-moi, je vous avais prise pour une stagiaire ».
Être une femme, c’est être prise pour une stagiaire tout le temps. Ca veut dire qu’on vous laisse le strapontin, le tabouret ou l’escabeau, et parfois la sellette. Bref, un siège d’appoint. Mais tout va changer pour moi, non pas parce que l’égalité progresse à pas de géant, mais parce que je vieillis. Bientôt, on ne pourra plus me prendre pour une stagiaire. On me proposera peut-être une chaise, une vraie chaise, où je pourrai prendre mes aises. A moins que, d’ici là, je n’aie le cul dans le beurre : plus besoin de quémander pour m’asseoir. Mon portefeuille bien rempli me permettra de m’offrir une chaise à porteur.
Les langues se délient, l’affaire DSK pourrait contribuer à « faire bouger les lignes », comme on dit en sarkolangue. Il était temps. Je vous raconte une anecdote significative. Je me rends au Salon du livre de Paris il y a quelques années. Je vais à la rencontre d’un éditeur avec lequel j’ai signé un contrat pour rédiger un petit ouvrage de vulgarisation. Lui et moi on ne s’est jamais rencontrés, on a échangé par emails ; sur le stand de sa maison d’édition, je m’avance vers lui, et je me présente. Il me tourne illico le dos et se met à parler à quelqu’un d’autre. Je pense qu’il n’a pas entendu, je recommence, « Bonjour, je m’appelle Corinne Maier…». Il me regarde à peine et lâche : « Ah, je vous demande une minute ». J’attends un peu, il est toujours occupé, tant pis, je quitte l’étal, passe devant lui en faisant un salut de la main. Là, pour la première fois, il me regarde vraiment, et il marmonne : « Excusez-moi, je vous avais prise pour une stagiaire ».
Être une femme, c’est être prise pour une stagiaire tout le temps. Ca veut dire qu’on vous laisse le strapontin, le tabouret ou l’escabeau, et parfois la sellette. Bref, un siège d’appoint. Mais tout va changer pour moi, non pas parce que l’égalité progresse à pas de géant, mais parce que je vieillis. Bientôt, on ne pourra plus me prendre pour une stagiaire. On me proposera peut-être une chaise, une vraie chaise, où je pourrai prendre mes aises. A moins que, d’ici là, je n’aie le cul dans le beurre : plus besoin de quémander pour m’asseoir. Mon portefeuille bien rempli me permettra de m’offrir une chaise à porteur.
3 juin 2011
“The tree of life” : quand Bambi traverse le styx
Le film « The tree of life » est un film extra-doux. On ressort de là dans un drôle d’état : navré, embarbouillé, tout confus de niaiserie. On a les jambes lourdes d’avoir traversé un si long marécage. Cette matière collante et glissante, qui gicle de partout, c’est quoi, au fond ? De l’âme ? De l’âme en poncifs ? De la belle âme ? Quelque chose d’assez indigeste pour que l’envie de se moquer et de ricaner se soit éteinte au fil des images. N’empêche que ça plait. Les critiques sont bonnes, peu reculent devant ce monument de kitch new age. Ça plane. Rien ne fait peur à Terrence Malick. Terre vue du ciel, dinosaures, parcs naturels américains, paramécies, c’est beau la vie. On a de la chance de vivre sur terre. L’actrice est belle, ses vêtements sont larges, elle est pieds-nus, elle marche lentement ; une voix off susurre des choses profondes, tandis que la musique (une messe) nous fait comprendre que c’est très-très profond. Dès fois que le spectateur n’aurait pas compris… Emotion, c’est le cri de ralliement. On n’en revient pas de tout ce nirvana. A un moment, le film manque de basculer – le père est vraiment trop autoritaire. Mais qu’on se rassure, ça ne dure pas. Finalement, la famille, tout compte fait, c’est de l’amour. Et voilà. Du point de vue de la morale, c’est irréprochable. Du point de vue du neuf, ou simplement de l’humour, c’est un désastre, pas l’ombre d’un trait d’esprit, pas une once d’ironie, tout est d’un premier degré abject. Et, je vous le donne en mille, la sagesse de la fin, injectée sous forme d’un prosélytisme de l’Inexprimable : par amour, on peut accepter de perdre un être cher. Par amour. Vous comprenez ? Cela va loin, n’est-ce pas. Bienvenue au royaume de la nouvelle religiosité enchantée. Mais rien n’est perdu : le spectacle de tous ces metteurs en scène en train de prendre la route des mythes et des contes de fées est en lui-même un sujet de film. De film comique, bien entendu.
Inscription à :
Articles (Atom)